À la maison des familles de la prison d’Annœullin : « Je leur ai dit que papa travaille dans une grande usine »
Nathalie, Anissa, et Fatima effectuent chaque semaine le trajet vers la prison d’Annœullin pour visiter leurs proches détenus. Ces mères et épouses viennent d’horizons différents, mais ont pourtant une routine identique. Munies d’un sac cabas rempli de linge propre, elles se rendent au parloir. Un rituel hebdomadaire qui rythmera leur vie en suspens jusqu’à la fin de peine de leur mari ou fils.
Porte de Douai, un samedi midi glacial du mois de décembre. Les vrombissements du bus 858 terminus Bauvin se font ressentir. A l’intérieur du car floqué d’un large bandeau bleu région Hauts-De-France, des étudiants et lycéens encapuchés débriefent leur matinée. Le véhicule marque un premier arrêt porte d’Arras, lorsque Nathalie, frêle quadragénaire, un sac cabas noir et blanc accroché à l’épaule, s’engouffre dans l’habitacle. L’autocar redémarre, traverse des kilomètres de vastes zones commerciales, puis s’enfonce dans la campagne de la Pévèle. Soudain, une voix préenregistrée annonce : « Prochain arrêt, Annoeullin centre pénitentiaire ». Le véhicule se gare devant des gros blocs de bétons ceinturés de fils barbelés, qui balafrent le paysage agricole. Le trajet s’arrête ici pour Nathalie. Emmitouflée dans une grosse doudoune noire matelassée, elle se dirige vers la maison des familles, un petit bâtiment cubique couleur crème posé aux portes du centre pénitentiaire. Cette compagne de détenu est impatiente. Dans une heure, elle a rendez-vous avec l’homme qu’elle aime, de l’autre côté du mur d’enceinte de la prison.
Cabas marqués au feutre noir
Au sein de la maison des familles, d’autres femmes attablées attendent fébrilement l’heure du parloir. Les cris de leurs enfants résonnent dans toute la structure, et se mêlent au tintement des clés sur les casiers métalliques. « Elles doivent partir au parloir uniquement avec leur carte d’identité, leur sac de linge et la clé du vestiaire qu’on leur remet. » précise Angèle Langui, 67 ans, bénévole au sein de l’association Trait d’union. Les adhérents assurent une permanence les jours de parloir dans les locaux de la maison des familles.
Dans le hall d’attente, de grands sacs de courses bigarrés colorent le sol jaunâtre. Gaétan T nº 7638, Olivier M nº 1544, Jean Baptiste D nº 6781… peut-on lire sur la face intérieure des cabas remplis de linge propre. Souvent, mères et épouses ont pris soin de marquer au feutre noir l’identité et le numéro d’écrou de l’être cher condamné. « Mon mari est incarcéré depuis septembre 2023. Toutes les semaines je lui lave ses vêtements et je les parfume », explique Anissa, une trentenaire brune, avec de larges lunettes de vue vissées sur le nez. Nathalie, elle aussi, suit le même rituel à chaque retour de parloir : « Je mets automatiquement la machine en route puis je prépare le sac suivant. »

La salle d’accueil de la maison des familles
Une vie en stand-by
Depuis l’incarcération de leur conjoint, la vie et les projets de ces femmes sont «en stand-by» comme le déplore Anissa en replaçant une mèche s’échappant de son chignon. Nathalie confirme : « En tant que femme de détenu, j’ai l’impression qu’on a aussi un pied à l’intérieur.» Toutes attendent avec impatience le jour de la libération. Le conjoint de Nathalie a pris 7 ans. Elle espère qu’à sa sortie, il trouvera un emploi « parce que c’est pas facile de se réinsérer après autant d’années.»
La réinsertion professionnelle après le choc carcéral est un sujet qui préoccupe aussi Fatima, dont le fils entame sa septième année derrière les barreaux. Écroué l’année de son bac, le jeune homme suit en détention une formation dans le bâtiment. « Mon fils m’a dit qu’il voulait sortir avec un diplôme ! » se réjouit la sexagénaire, un turban à motifs multicolores noué autour de la tête.

Le coin enfant de la maison des familles
« Quand mon conjoint sera sorti, mon Dieu ! Je vais oublier tout ça ! », s’exclame Anissa. La jeune femme aimerait déménager afin de « repartir sur de nouvelles bases ». L’homme est éligible à un aménagement de peine avec placement sous surveillance électronique, à compter de 2026. En attendant, la mère de famille souhaite préserver ses enfants de la réalité carcérale. « Mes enfants ne savent pas que leur père est en prison. », confie-t-elle. Avant d’ajouter : « Ils sont tellement innocents, que j’ai préféré leur dire que papa avait été choisi pour travailler dans une grande usine… »
« Est-ce que vous vous êtes enregistrée pour le parloir ? » L’interruption soudaine d’un surveillant marque la fin de la discussion. Il est presque 14h15, l’heure de franchir les grilles de la prison pour Anissa, Nathalie, Fatima et les autres. Quelques minutes plus tard, paquetage sous le bras, ces femmes s’engouffrent par le minuscule portillon jaune vif qui détonne avec la morosité des lieux. Dans quelques minutes, elles pourront serrer dans leurs bras un fils ou un époux. « Dans des petits boxes de 3 mètres sur 3 », murmure Nathalie. En ajoutant : « Mais on s’y fait, c’est le temps de s’habituer. »
Alice Motte