Gilbert Thiel, juge : « elles sont moins malléables que les hommes »
Juge d’instruction dès 1978, Gilbert Thiel a notamment instruit l’affaire Simone Weber, l’une des plus grandes affaires criminelles du XXème siècle. Le magistrat est auteur de plusieurs ouvrages sur le monde judiciaire. Dans son dernier livre paru en 2024, il présente une cinquantaine de portraits de femmes criminelles¹.
Selon votre expérience, observe-t-on des tendances spécifiques dans les crimes commis par les femmes par rapport aux hommes ?
L’infanticide, qui consiste à tuer un nouveau-né, est un crime principalement féminin, même si les hommes peuvent aussi le commettre, mais moins souvent. En dehors de cela, femmes et hommes commettent une large variété de délits et crimes similaires.
Pendant longtemps, on a considéré que le crime d’empoisonnement était spécifiquement féminin. On expliquait que les femmes n’ayant pas une masse musculaire comparable à celle des hommes, préféraient un crime qui ne faisait pas couler le sang, et n’obligeait pas à un contact physique avec la victime. Il faut se souvenir que la première expertise toxicologique remonte à 1840 dans l’affaire de Marie Lafarge². A l’époque, les empoisonnements à l’arsenic présentaient les mêmes symptômes que le choléra, maladie qui sévissait grandement en France, et certaines empoisonneuses n’étaient pas repérées pour leur crime.
Est-ce que les femmes plaident coupables aussi souvent que les hommes ? Ou bien constatez-vous une différence dans la manière dont elles se défendent au cours de la procédure ?
A travers mon expérience professionnelle, j’ai constaté que les femmes étaient beaucoup plus résilientes. Elles étaient moins malléables.
Globalement, je dirais que les femmes mises en cause sont beaucoup moins sujettes à la pression. En garde à vue, ou à l’occasion des interrogatoires dans mon cabinet, elles me paraissent plus résistantes que la plupart des hommes.Et quand elles ont décidé de ne rien dire… J’ai rencontré, et pas uniquement à travers le cas de Simone Weber ³, des femmes qui restaient mutiques, sinon sur les faits, du moins sur leur motivation. J’en cite quelques-unes dans mon bouquin. Par exemple Henriette Peytraud⁴… On ne sait pas pourquoi, elle a tiré un coup de fusil dans la bouche de son mari après qu’elle lui a donné une soupe au somnifère et qu’ il s’est endormi devant la télévision. De la même façon, Laurence Bailly⁵ qui a mis le feu à la chambre de ses enfants a avancé quelques explications quand elle a fini par rentrer dans la voie des aveux. Mais c’était des explications clés en main et toutes faites : « On n’avait pas beaucoup d’argent, je ne m’entendais plus avec mon mari… ». Je n’en crois pas un mot et donc à ce jour, après autant d’années, je ne sais toujours pas pourquoi elle a fait ça.
A crime ou délit égal, est-ce que les femmes ont une peine de prison moins lourde que les hommes ?
La femme a un peu plus de chances de s’en tirer parce qu’elle s’occupe des enfants. Dans les rôles assignés par la société, la femme est encore perçue comme la principale responsable des enfants, ce qui pousse la justice à y regarder plutôt à deux fois avant d’écrouer une femme, notamment au moment de décider d’une détention provisoire.
Lors du jugement quand un homme a déjà fait six mois de détention provisoire, le tribunal a tendance à mettre au moins six mois, alors que si une femme n’a pas été en détention provisoire, il n’y aura pas cet effet d’entraînement sur la sévérité de la peine.
Et on ne peut pas dire que ce comportement soit le résultat d’un masculinisme prépondérant puisque la majorité, actuellement des magistrats, sont des femmes.
Propos recueillis par Chloé Courtine
¹ Le livre cité est Femmes criminelles de Gilbert Thiel, publié en 2024. (Mareuil éditions, 22 euros)
² Marie Lafarge a été condamné en 1840 aux travaux forcés à perpétuité par la cour d’assises de Tulle pour avoir empoisonné son époux. Elle est graciée pour raisons de santé en juin 1852 et meurt trois mois plus tard.
³ Simone Weber, surnommée “la diabolique de Nancy”a été condamnée à 20 ans de réclusion criminelle en 1991 pour le meurtre de son compagnon. L’ancienne professeure de philosophie a toujours nié avoir tué et découpé à la meuleuse Bernard Hettier, disparu le 22 juin 1985. L’instruction du dossier menée par Gilbert Thiel a duré cinq ans, l’accusée congédiant un par un ses 25 avocats successifs. Simone Weber a été libérée en 1999. Elle est décédée le 11 avril 2024 à l’âge de 94 ans.
⁴ Henriette Peytraud, surnommée “Mémère” par ses co-détenues, a tué son mari le 9 octobre 1984, en Meurthe-et-Moselle. Ce soir-là, elle lui a servi des pâtes mélangées à des somnifères. Une fois endormi devant la télévision, elle a pris un fusil et lui a tiré une balle dans la bouche. Elle a reconnu les faits sans jamais révéler les raisons de son geste. Elle a été condamnée à 18 ans de réclusion criminelle.
⁵ Laurence Bailly : En Meurthe-et-Moselle, Laurence Bailly, alors âgée de 21 ans, mère de trois enfants et enceinte, a reconnu avoir mis le feu à son appartement le 25 mars 1985 sans jamais expliquer les raisons de son geste. L’incendie a entraîné la mort de deux de ses enfants. En 1988, elle est condamnée à 15 ans de réclusion criminelle.