Gildas Brochen, avocat pénaliste : “La justice tend à considérer que les femmes criminelles sont plus facilement sous influence”
En France, les femmes mises en cause sont moins nombreuses que les hommes. Y a-t-il des crimes et délits “féminins” ? Défend-on différemment une femme et un homme ? Le point de vue de Gildas Brochen, avocat pénaliste à Lille.
Dans quels types de dossiers avez-vous défendu des femmes ?
D’abord, il y a beaucoup moins de femmes que d’hommes qui sont poursuivies. On peut les retrouver dans le trafic de stupéfiants, où elles ont le rôle de nourrice (logistique et stockage NDLR), plutôt que de revendeuse. Ça peut aussi être du blanchiment ou de la non-justification de ressources. Par exemple, si la concubine d’un trafiquant de drogue n’est pas à même de justifier son train de vie, elle peut être poursuivie pour ces infractions.
Pour quels autres crimes ou délits les femmes sont le plus souvent jugées ?
On retrouve un certain nombre de femmes dans des escroqueries. Plutôt envers des institutions que des personnes : la CAF, la Sécu, etc.
Dissimuler des revenus dans une déclaration à la CAF, c’est considéré comme une escroquerie. Pour la Sécu, ça peut être des infirmières ou médecins qui falsifient des feuilles de soins pour se faire rembourser des soins qui n’ont pas été prodigués.
J’ai très rarement vu des femmes jugées pour des cambriolages, encore moins pour des home-jackings. Des vols à main armée, j’en ai eu deux en vingt ans de carrière.
J’ai eu plusieurs dossiers où des jeunes filles qui, après avoir été elles-mêmes victimes de proxénètes, favorisaient la prostitution de leurs amies. En les aidant à faire des annonces sur des sites internet, en les prenant en photo, etc. Ça suffit pour tomber sous le coup de l’infraction de proxénétisme.
Il y a aussi des infractions assez spécifiques, comme les infanticides ou d’autres crimes sur les enfants.
Vous pensez à une affaire en particulier ?
J’ai été très marqué par une des premières femmes que j’ai défendue devant la cour d’assises. Elle était poursuivie pour le viol de son enfant. Elle n’était pas du tout sous influence, elle était très active dans la commission des faits.
En défense, j’ai surtout mis en avant le fait – et ça peut arriver à un homme aussi – qu’elle-même avait été victime et que sa sexualité était totalement pervertie dès le début. Son compagnon a été jugé un peu plus sévèrement parce qu’on lui reprochait plus d’agressions. Elle, c’était un acte unique.
Utilisez-vous l’argument de la femme sous l’emprise d’un homme pendant les procès ?
Quand le seul tort de ma cliente jugée est d’être la femme ou la sœur d’un bandit, bien sûr. Ou quand on lui reproche des infractions annexes, comme le blanchiment d’argent. Mais quand il s’agit d’une infraction principale qui pourrait être commise de la même manière par un homme ou une femme, il n’y a pas de différence d’argumentation qui peut être mise en avant.
J’ai défendu une femme jugée pour un homicide involontaire. Elle roulait tard la nuit, sans permis, c’était la quatrième fois, et elle a percuté un homme, qui est décédé. Elle a pris la fuite. Je pense qu’un homme avec les mêmes antécédents aurait eu la même peine.
Observez-vous une différence dans le traitement judiciaire des femmes mises en cause ?
Elles sont généralement jugées avec plus d’”indulgence” que les hommes. La justice tend à considérer, à tort ou à raison, qu’elles sont plus facilement sous influence ou sous l’emprise d’un homme.
Quand une femme comparaît et qu’elle a une ou deux mentions sur son casier judiciaire alors que son coprévenu en a douze, instinctivement s’instaure l’idée qu’elle est là à cause de l’influence néfaste de l’autre individu. Et en moyenne, les femmes ont beaucoup moins tendance à récidiver. Il y a aussi la question de la maternité qui entre en compte : les juges évitent les peines d’emprisonnement.
La sociologue Coline Cardi a souligné dans une interview auprès de l’Observatoire international des prisons que les jeunes femmes Roms étaient a contrario traitées comme les garçons, voire de façon plus sévère qu’eux. Est-ce une situation à laquelle vous avez été confronté ?
J’ai défendu deux femmes poursuivies pour des violences sur policiers lors de l’évacuation d’un camp de Roms, dont l’une d’elles a été accusée d’avoir fait gicler du lait maternel vers un agent. L’interprète me disait que c’était une pratique chez les Roms, en Roumanie, de se mettre seins nus pour ne pas se faire frapper par les policiers. Il n’y a eu aucune clémence à l’égard de ces femmes, elles ont été jugées assez sévèrement. Je pense effectivement que les femmes Roms ne sont pas mieux traitées par un juge que dans la rue. Les bons juges sont ceux qui arrivent à mettre de côté leurs préjugés, malheureusement ils n’y arrivent pas tous.
Propos recueillis par Oscar Leroy