Interprète judiciaire : « Donner à chacun le droit d’être compris et de se défendre équitablement »

Dans les coulisses des tribunaux, un acteur discret mais essentiel joue un rôle crucial : l’interprète judiciaire. À 50 ans, Virginie Caura exerce ce métier depuis près de dix ans en langue anglaise. Elle est traductrice-interprète assermentée, rattachée à la cour d’appel de Douai.

Comment devient-on traductrice interprète assermentée ?

J’ai commencé ce métier en 2015, après avoir passé dix ans à l’étranger, où j’ai pu devenir bilingue. Lors de mon séjour en Afrique du Sud, j’ai obtenu un diplôme de traductrice et d’interprète. À mon retour en France, j’ai entamé les procédures pour exercer dans ce domaine, en déposant une demande d’assermentation auprès de la cour d’appel, comme l’exige la réglementation.

Pour devenir interprète judiciaire, une formation en droit n’est pas obligatoire mais facilite la pratique du métier. De mon côté, j’avais, par le passé, suivi un cursus en droit. Mon inscription auprès de la cour d’appel a été facilitée, ce diplôme étant généralement apprécié.

En quoi consiste ce métier ?

L’interprète judiciaire intervient dans toutes les étapes d’une procédure lorsqu’une personne ne parle pas suffisamment français pour comprendre ce qui lui est reproché ou pour se défendre correctement. On peut être appelé de la garde à vue jusqu’au procès en passant par les interrogatoires devant le procureur ou le juge d’instruction.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, notre rôle ne se limite pas à traduire mécaniquement des mots d’une langue à l’autre. Il faut restituer avec exactitude les propos et l’intention de chaque personne, sans jamais déformer ni interpréter. Nous prêtons serment et devons être d’une neutralité absolue.

Parfois, les prévenus ou les victimes cherchent à nous parler en dehors des moments officiels, dans les couloirs du tribunal par exemple. Ils sont souvent perdus et tentent d’obtenir des explications sur leur situation. Mais nous ne sommes ni avocats ni conseillers juridiques. Nous devons nous en tenir strictement à notre rôle de traduction, même si, humainement, ce n’est pas toujours facile.

Quelles sont les compétences et les défis du métier ?

Au-delà de la simple maîtrise de la langue, il faut avoir une excellente compréhension des différents accents. En langue anglaise, je suis confrontée à des locuteurs très variés : africains, indiens, pakistanais… Certains ont des accents très marqués, ce qui peut compliquer la compréhension. Il faut savoir refuser une mission si l’on sent que l’on ne pourra pas traduire avec précision.

Nous avons également une responsabilité énorme : la moindre erreur peut avoir des conséquences judiciaires lourdes. Nous devons traduire mot à mot, sans altérer ni nuancer les propos. Tout ce qui est dit par un accusé, une victime, un juge ou un policier doit être restitué avec la même intention et le même poids.

Mais ce qui rend parfois ce métier difficile, c’est la charge émotionnelle. Certaines affaires sont particulièrement dures à entendre. Je me souviens d’un procès à huis clos où des mineures racontaient des abus d’une violence extrême. Dans ces moments-là, il faut rester professionnel, mais on ne sort jamais totalement indemne.

Comment s’organise le quotidien d’un interprète judiciaire ?

Comme tous mes collègues j’exerce en libéral. Je suis appelée en fonction des besoins de la justice. Le tribunal, la police ou la gendarmerie peuvent solliciter un interprète  à tout moment, car la justice fonctionne 24h/24. Nous intervenons pour des comparutions immédiates, des interrogatoires, des audiences de correctionnelles ou en cour d’assises… Si nous sommes disponibles, nous acceptons la mission, sinon, un autre interprète est contacté.

Votre métier exige une grande disponibilité. Est-il difficile d’être prête à intervenir à tout moment ?

Dans ce métier, j’ai remarqué qu’il y a plus de femmes que d’hommes, mais ces derniers acceptent plus facilement les missions de nuit. Personnellement, j’ai refusé ce type de missions pour des raisons familiales. Je suis mère célibataire et une fois, j’avais demandé à être entendue en priorité lors d’une audience pour pouvoir aller chercher mon enfant à l’école, cela m’a valu d’être écartée des convocations suivantes.

Que vous a appris votre métier, tant sur le plan professionnel que personnel ?

Ce métier m’a aussi fait prendre conscience d’une chose : les personnes jugées ne sont pas toujours celles que l’on imagine. On a tous en tête les stéréotypes du « criminel » des films, mais la réalité est bien différente. Beaucoup de prévenus sont simplement des gens ordinaires qui ont fait “une erreur”, qui se sont retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment, ou qui traversent une situation extrêmement compliquée. Être interprète judiciaire, c’est être au plus proche de ces réalités, avec la responsabilité de donner à chacun le droit d’être compris et de se défendre équitablement.

31 Views
Scroll to top
Close