« La femme criminelle provoque une peur viscérale »

La criminalité féminine était au cœur d’un colloque organisé par des étudiants en droit de l’Université Panthéon-Assas au Centre Panthéon le 26 mars dernier. À la table : des invités, des magistrats, des avocats et des criminalistes. 

Au premier étage du Centre Panthéon, dans la salle du Conseil ornée de boiseries et de fresques du XVIIIe siècle, une table ronde se tient autour d’un sujet encore marginal dans le débat public : la criminalité féminine.

Le décor contraste avec l’univers carcéral. Loin des murs défraîchis des établissements pénitentiaires, des cellules exigües ou de la tension des salles d’audience. Ici, pourtant, c’est bien d’elles qu’il est question : ces femmes criminelles, peu nombreuses en effectif, mais omniprésentes dans l’imaginaire collectif.

En France, les femmes représentent une part minime de la population carcérale : environ 2 400 détenues contre 80 000 hommes, soit moins de 4 %, selon les chiffres du ministère de la Justice en 2023. 

Pour Marie-Sophie Baud, maîtresse de conférences en droit privé et ancienne avocate pénaliste : les femmes sont moins souvent interpellées et condamnées que les hommes. Selon l’Insee, les infractions concernent davantage les fraudes, les escroqueries ou le blanchiment. Leur implication dans la commission de violences sexuelles reste marginale. 

« Historiquement, la justice a souvent fait preuve de clémence envers les femmes, ce qui peut sembler paradoxal au regard du principe d’égalité. Certains auteurs parlent d’une protection chevaleresque des hommes envers les femmes. Toutefois, l’arrivée des femmes dans la magistrature n’a pas modifié cette tendance, suggérant que cette clémence s’explique davantage par des facteurs socio-économiques que par le genre lui-même », observe l’avocate. 

La journaliste Isabelle Horlans a consacré l’un de ses ouvrages à l’amour porté aux criminels, intitulé L’amour (fou) pour un criminel*. Elle fait une différence entre homme et femme dans l’imaginaire collectif : « La femme criminelle provoque une peur viscérale. L’homme criminel, lui, intrigue, voire séduit. Cela tient à l’idée profondément ancrée selon laquelle la femme incarne spontanément la douceur, la confiance et le soin ».

L’étude de la criminalité féminine s’est développée à partir des années 1970, sous l’impulsion des premières chercheuses féministes en criminologie, explique Martine Herzog-Evans, criminologue et professeure de droit. 

«Les femmes, ayant commis des crimes, sont souvent confrontées à des difficultés supplémentaires par rapport aux hommes : violences domestiques, financières et sexuelles. Elles sont également davantage impliquées dans ce qu’on appelle des “délits de survie” », souligne-t-elle.

Les femmes sont minoritaires dans le système pénal. Elles représentent 18 % des personnes mises en cause, 10 % des justiciables condamnés et 3,4% des incarcérés. Sur 80 000 détenus, elles sont environ 2 400. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, leur faible nombre ne leur assure pas de meilleures conditions de détention. Les prisons pour femmes étant rares, cela entraîne un éloignement géographique important. 

La plupart du temps, il s’agit de quartiers “femmes” au sein de prison d’hommes. La législation qui régit l’incarcération des femmes limite leurs activités, leur accès à la formation et à l’emploi. Il y a très peu de mixité en prison et la loi impose que les femmes soient surveillées exclusivement par des femmes. Autre différence carcérale avec les hommes, les jeunes mères peuvent accueillir dans leur cellule un enfant jusqu’à deux ans.

« Les femmes incarcérées ont souvent un parcours de vie marqué par l’instabilité et la violence. Ces facteurs sont encore plus marqués chez celles qui ont commis des crimes. 85 % d’entre elles ont été victimes de violences sexistes ou sexuelles, en tant que mineures ou majeures, un chiffre bien plus élevé que chez les hommes. Il est essentiel que leur prise en charge tienne compte de cette vulnérabilité, tant sur le plan psychologique que médical », souligne Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles. 

Un constat partagé par Janine Bonaggiunta, avocate spécialisée en droit de la famille : « Les femmes que je défends ne sont pas des criminelles nées, mais des survivantes de contextes familiaux destructeurs : un père autoritaire ou incestueux, un frère violent, un conjoint abusif ». 

L’avocate raconte que ces femmes ont appris à se taire, à ne pas déranger, à endurer. « Dans le cadre judiciaire, elles n’osent pas s’exprimer, et manquent souvent de ressources pour se défendre. Mon rôle, en tant que conseil, est de leur rendre une voix, de les humaniser. »

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