La prison : un désert médical pire que les autres
Mélanie* a été incarcérée un an au centre pénitentiaire de Bapaume en 2018. Elle garde des mois passés derrière les barreaux « un sentiment d’amertume » lorsqu’elle repense aux conditions d’hygiène et d’accès aux soins.
Les femmes qui se retrouvent en prison sont souvent pauvres et présentent plus de comportements à risque tels que la consommation d’alcool ou de stupéfiants, ainsi que des pathologies notamment bucco-dentaires. Fragiles avant l’incarcération, les femmes voient leur état de santé se dégrader en prison. La loi du 18 janvier 1994 a transféré la responsabilité sanitaire au ministère de la Santé dans le but de garantir une équivalence de soins avec la population générale. Cependant, le principe d’égal accès aux soins reste encore un vœu pieux.
Un rapport de l’Observatoire international des prisons (OIP) de juillet 2022 a mis en lumière les nombreux obstacles à l’accès aux soins spécialisés en milieu carcéral. Si ce rapport aborde la population carcérale dans son ensemble, il révèle des difficultés qui touchent spécifiquement les femmes détenues, notamment concernant l’accès à des soins spécialisés et l’impact de la précarité financière sur l’hygiène.
« On est traité pire que des animaux. »
Du cabinet médical, Mélanie se souvient de « locaux très petits, avec quatre lits presque collés les-uns aux autres, et équipés seulement d’un plateau sur roulettes ». Elle décrit une promiscuité nuisant à la confidentialité des soins et un matériel rudimentaire limitant l’accueil de médecins spécialistes.
Le rapport annuel de l’OIP indique que l’aménagement et l’architecture des prisons constituent des obstacles à une prise en charge médicale adaptée.
Les locaux sanitaires, toilettes et douches, dans les prisons posent fréquemment problème. « On est traité pire que des animaux, s’insurge Mélanie ». Elle se souvient de sanitaires « en nombre insuffisant, puants et tout le temps sales ».
Ces difficultés d’accès aux conditions d’hygiène élémentaires et d’adaptation des installations ont des conséquences directes sur la capacité des détenues à maintenir une hygiène corporelle de base, s’ajoutant aux autres facteurs dégradant l’état de santé en détention. « On achetait nos serviettes hygiéniques mais il n’y en avait pas assez », raconte Mélanie, qui avait néanmoins la chance de pouvoir s’en faire apporter par sa mère au parloir.
Des soins dentaires inexistants
Les problèmes d’accès aux soins spécialisés (dentaire, ophtalmologie, kinésithérapie, etc.) sont l’objet des plaintes les plus fréquentes auprès de l’OIP. L’accès aux soins dentaires est particulièrement compliqué. Mélanie explique avoir attendu sa sortie de prison avant de pouvoir traiter une dent douloureuse. « J’avais mal à une molaire. La nuit, la douleur irradiait dans toute la tête, je n’arrivais plus à dormir. J’ai vu un médecin après plusieurs jours. Il m’a dit que j’avais une infection et m’a prescrit des antibiotiques. Je n’ai pas pu voir de dentiste, parce qu’il n’y en avait pas de disponible. »
Le territoire national souffre d’une répartition inégale des professionnels de santé. « 87% du territoire est classé en désert médical », a indiqué le Premier ministre François Bayrou lors d’un discours tenu fin avril. Les prisons françaises n’y font pas exception. « L’offre de soins est souvent insuffisante voire inexistante dans certains établissements, estime Pauline Petitot, chargée d’enquête auprès de l’OIP. »
Le manque de moyens et de matériel en prison rend l’attractivité limitée pour les médecins spécialistes.
Des antalgiques à la place des soins
Le personnel médical tente de pallier le manque de spécialistes en prescrivant par exemple des antalgiques au lieu de séances de kinésithérapie pour les douleurs chroniques. Ce recours systématique à la médication peut entraîner le développement d’addictions ou de problèmes rénaux ou hépatiques.
Les extractions de détenus en dehors de la prison pour consultations ou examens à l’extérieur sont fréquemment annulées par manque de personnel pénitentiaire pour assurer les transferts. Lorsqu’elles ont lieu, les conditions sont souvent dégradantes : menottage ou entrave même pendant les examens ou les interventions. « Parfois, les agents pénitentiaires sont présents lors des consultations au mépris du secret médical », détaille Pauline Petitot.
Ces pratiques ont été condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme, mais persistent, dénonce l’OIP. Ces conditions pénibles conduisent de nombreux détenus, y compris des femmes, à renoncer à des soins qui seraient considérés comme essentiels à l’extérieur. Un rapport du ministère des Affaires sociales et de la santé faisant l’état des lieux du dépistage des cancers féminins en milieu carcéral rapporte des cas de patientes refusant les actes de dépistage tels que la mammographie à cause des extractions sous entraves.
Des cellules pour maintenir le lien maternel
La loi française incite à limiter l’incarcération des femmes enceintes de plus de douze semaines ou ayant de très jeunes enfants. Lorsqu’une incarcération a lieu malgré tout, la loi prévoit que les détenues enceintes ou avec leur enfant bénéficient de conditions de détention appropriées. Des « cellules mère/enfant » sont destinées à les héberger. Il en existe 79 réparties sur 31 établissements. Dans le Nord, la prison de Sequedin est la seule à disposer de ce genre de cellules.
Une cellule de nurserie pénitentiaire est plus grande qu’une cellule classique. Cet espace de 15m² est équipé d’un lit pour enfant, d’une baignoire et d’un chauffe-biberon. Les détenues disposent également d’une cuisine commune. Les femmes dans ces cellules sont plus jeunes que la moyenne des détenues et bénéficient d’un régime de « portes-ouvertes », comme l’explique Aurélie Leclercq, directrice du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin : « Les détenues séjournant à la nursery sont libres de leurs allées et venues la journée, elles doivent être rentrées le soir. »
Le manque de cellules mères-enfants en France, participe à l’isolement des mères incarcérées.
Pauline Petitot estime que « l’éloignement des détenues de leur lieu de résidence peut être conséquent ». Cela rend la séparation d’autant plus difficile pour les jeunes mères incarcérées. À la prison de Lille « l’enfant peut rester avec sa mère jusqu’à 18 mois, avec une prolongation à 24 mois, explique Aurélie Leclercq, mais il est inséré tous les weekends dans sa famille, d’abord une heure par jour puis de plus en plus longtemps pour l’habituer au détachement. »
La gynécologie, un service en souffrance
Au-delà de ces cellules spécifiques, l’accès aux soins spécialisés pour l’ensemble des femmes détenues rencontre des difficultés. La gynécologie est le parent pauvre des soins prodigués en prison. « Je n’ai pas eu accès à un gynécologue de toute mon incarcération », déplore Mélanie.
Les programmes nationaux de dépistage cancérologique, comme celui du col de l’utérus pour les femmes de 25 à 65 ans et du sein chez celles de 50 à 74 ans, ne doivent pas s’arrêter à la porte de la prison. Néanmoins, l’accès aux soins gynécologiques varie considérablement selon les établissements, explique Pauline Petitot. « À la prison de Borgo, en 2021, il n’y avait pas de soins de gynécologie et les délais d’attente étaient extrêmement longs tandis qu’à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis, moins peuplée, un fragile équilibre était maintenu grâce à l’investissement d’une gynécologue et d’une sage-femme. »
Ilies Attia
*Le prénom a été modifié