Martine Herzog-Evans, criminologue : “Il y a quelque chose chez les femmes qui les protège d’entrer dans la délinquance”

En France en 2022, seulement 17 % des personnes mises en cause étaient des femmes. Pour Martine Herzog-Evans, criminologue et professeure de droit à l’Université de Reims, des facteurs biologiques expliqueraient en partie cette moindre délinquance féminine. Selon elle, les différences hormonales et cérébrales, couplées à des normes sociales qui s’imposent aux femmes, seraient les principaux facteurs différenciateurs.

Qu’est-ce qui différencie la délinquance des femmes de celle des hommes ?

Les femmes commettent des faits globalement beaucoup moins graves que les hommes, à chaque niveau infractionnel. Par exemple en matière de violence, elles sont largement moins autrices de faits de torture et de barbarie. Les infractions féminines sont beaucoup liées au vol, pour payer le loyer. Parfois pour alimenter une consommation de stupéfiants. L’homme délinquant est souvent violent. La femme a plutôt tendance à escroquer la mamie qu’elle croise dans la rue.

La vraie question, plutôt que de s’interroger sur la moindre délinquance des femmes, c’est pourquoi les hommes sont-ils beaucoup plus délinquants que les femmes ? Quand on recherche des facteurs sociaux, on n’arrive pas à expliquer le différentiel. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas des facteurs de délinquance. Mais il y a quelque chose chez les femmes qui les protège, et qui ne protège pas les hommes.

Sait-on ce qui les empêche d’entrer dans la délinquance ?

Ce sont des facteurs biologiques qui interagissent avec des facteurs sociaux. D’abord, il y a les hormones. La testostérone est impliquée dans un surcroît d’agressivité. Elle est beaucoup moins présente chez la femme que chez l’homme.

L’autre élément, c’est les différences cérébrales. Le cerveau féminin se développe plus vite que le cerveau masculin. À l’adolescence, elles ont entre deux et quatre ans d’avance. C’est extraordinairement important parce que c’est à ce moment que les jeunes garçons entrent dans la délinquance. Le pic de la délinquance se situe entre 15 et 21 ans. Les filles ont une avance cérébrale qui leur donne les capacités de prendre les bonnes décisions. Et le problème, c’est qu’une fois que les garçons ont mis le pied dans la délinquance, et que la chaîne pénale intervient, on les enracine dans un comportement qui était lié à une immaturité à cet âge-là.

Y a-t-il d’autres facteurs biologiques ?

Les filles ont beaucoup moins d’anomalies cérébrales que les garçons. Dans presque toutes les zones du cerveau impliquées dans la prise de décision, dans la rationalité, dans le contrôle de soi… Toutes les choses qui sont importantes pour ne pas commettre d’infraction.

Un collègue américain, Glenn Walter, a établi dans une étude sur une cohorte de 3 000 personnes que les garçons ont beaucoup plus tendance à justifier leurs actes par des techniques de neutralisation. Par exemple en disant “ Oh oui, mais bon, la victime l’a mérité”. A contrario, les filles ont plutôt un raisonnement moral élaboré. Donc comme elles ne sont pas capables de justifier des comportements déviants, elles n’en ont pas autant.

Comment ces différences empêchent-elles les filles d’entrer dans la délinquance ?

Comme elles ont un cerveau plus adapté à la prise de bonnes décisions, quand il y a des gens mauvais dans leur entourage, elles ont beaucoup plus de facilité à leur dire “passe ton chemin, ça ne m’intéresse pas de te fréquenter”.

Les filles entrent généralement dans la délinquance à cause d’un homme ou d’un petit copain. Les garçons plutôt à cause des copains. Ça a été typologisé. On a souvent un bad boy casse-cou qui répond aux profs. C’est le premier à fumer de l’herbe, à avoir une copine, etc. Lui, il aura généralement une carrière délinquante très longue. Ce sont ceux qui tournent autour de lui qui vont alimenter le pic de délinquance entre 15 et 21 ans.

Et les facteurs sociaux ne jouent-ils pas un rôle dans cette délinquance différenciée ?

La société contrecarre la femme, la décourage, lui dit : “ça, ce n’est pas tolérable”. Une femme qui s’énerve, qui est assertive, on va dire qu’elle est agressive. Ça crée plein de micro-découragements qui font que même une femme délinquante ne va pas commettre certains actes. Alors que les hommes n’ont pas de correctifs, parce qu’on leur permet beaucoup de comportements agressifs.

Un facteur commun à de nombreux délinquants et criminels est qu’ils ont subi des traumatismes. Est-ce encore plus le cas chez les femmes ?

Pour faire tomber un garçon dans la délinquance, il faut beaucoup moins de traumatismes que pour faire tomber une fille, car elles sont plus résistantes. Il y a énormément de femmes traumatisées dans la société qui ne deviennent pas délinquantes. Et celles qui le deviennent ont vécu des choses infernales. Elles ont des syndromes de stress post-traumatique complexes, des choses incroyables leurs sont arrivées de façon répétée. Elles sont hyper dures à prendre en charge.

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