Au quartier femme de la prison de Sequedin : quand travailler devient un luxe à moins de 5 € de l’heure
« On va leur faire une surprise. » Ugo Bernalicis, député « insoumis » du Nord, n’a pas prévenu l’administration pénitentiaire de sa venue. Tout sourire, il se présente devant la porte blindée de la maison d’arrêt de Lille-Loos-Sequedin. « Bonjour, je suis parlementaire, je viens pour une visite. » La porte s’ouvre. De toute façon, ils n’ont pas le choix.
La loi autorise les députés, eurodéputés et sénateurs à visiter, à leur guise, les établissements pénitentiaires. Depuis 2015, ils peuvent être accompagnés de journalistes. Ce 27 janvier 2025, nous le suivons dans le quartier femme de la maison d’arrêt.
Entre ces murs austères, Ugo Bernalicis n’est pas intimidé. Le député connaît bien les lieux. Spécialiste des questions de justice de la France insoumise, il s’est souvent rendu en prison depuis son élection en 2017. Derrière le portique de sécurité, la directrice de la maison d’arrêt de Sequedin attend le député. Sur ses demandes, elle prend la direction de la maison d’arrêt des femmes, la MAF dans le jargon pénitentiaire.
Le plus grand quartier femme de la région
De l’autre côté des portes grillagées, dans l’entrée du quartier femme, Tony Malarmé nous accueille. Le responsable adjoint de la MAF est en poste depuis 6 ans. 149 des 2783 détenues en France y sont incarcérées, faisant de Lille-Sequedin le plus important quartier femme de la Région.
Tony Malarmé nous guide d’abord vers le quartier des nouvelles arrivantes. Dans ce petit corridor de la prison, l’encellulement se fait systématiquement à deux, dans l’objectif de prévenir les risques de suicide. Le responsable adjoint a vu passer de nombreuses détenues, « ici, il y a soit des très courtes peines, soit des très longues ».

Les activités de loisir de la prison s’organisent dans un couloir adjacent. Sur les murs, des affiches font la prévention des violences conjugales. En ces lieux, les femmes incarcérées peuvent s’inscrire en cours d’anglais, d’écriture, de philosophie, à des ateliers de logique…
Ce passage mène également à la bibliothèque du quartier femme, un lieu très populaire. Dans une petite salle lumineuse, les détenues ont accès à des ouvrages en tout genre, allant du roman au manuel scolaire.
Les activités sportives s’organisent en mixité, à l’extérieur du quartier femme, un choix qui n’a jamais causé de problème, assure l’administration.
Femmes de ménages à 3,92€ de l’heure
À l’inverse des activités de loisir, le travail en détention s’exerce dans une séparation stricte des genres. Plus de la moitié des femmes détenues à la MAF de Lille-Sequedin travaillent.
Au rez-de-chaussée du quartier femme, des détenues vêtues d’uniformes violets et aux cheveux couverts par des charlottes bleues, circulent en poussant un chariot, alourdi de produits ménagers. Elles sont chargées de l’entretien de la MAF.
La majorité des femmes incarcérées à Lille-Sequedin exercent dans le service général, c’est-à-dire « à l’entretien des locaux ou au fonctionnement de la vie en détention », selon le ministère de tutelle.
J’ai toujours voulu faire ça, Chef Tony m’a donné ma chance .
La plupart de ces tâches s’effectuent au sein même du quartier femme. Outre l’entretien, les autres détenues travaillant dans l’enceinte de la MAF sont affectées à la bibliothèque et au salon de coiffure. Elles sont payées respectivement 2,38€, 2,97€, ou 3,92€.
Pour accéder à la majorité de ces tâches, pas besoin de formation ou de connaissances professionnelles. Le travail en incarcération doit toutefois viser à « préparer l’insertion ou la réinsertion professionnelle et sociale », selon l’article L412-1 du Code pénitentiaire. Une fonction remplie, selon la détenue qui a pris la tête du salon de coiffure : « J’ai toujours voulu faire ça, Chef Tony m’a donné ma chance ».
Des tâches pénibles
Dans la buanderie, à l’extérieur des murs de la MAF, 21 femmes, tout de rose vêtues, travaillent dans le brouhaha des machines à laver. Sous une chaleur étouffante, elles lavent, sèchent, plient, et empaquettent le linge des détenus de la région.
Pour se rendre sur le lieu de travail, il faut traverser la cour centrale de la prison, pénétrer dans la maison d’arrêt des hommes puis dans leur atelier. C’est dans une salle isolée et dépourvue de fenêtre, que s’activent les employées de la buanderie. Cet emploi est réservé aux femmes. Elles y sont formées « sur le tas », aucun diplôme ne leur est délivré à la sortie, nous précise la responsable des lieux. Elles peuvent néanmoins postuler à un contrat d’apprentissage avec validation des acquis d’expérience (VAE).
La buanderie est un travail sensible. Restituer du linge abîmé serait susceptible d’entraîner des problèmes en détention. Ce travail est exigeant et pénible. Il est rémunéré à hauteur de 45% du SMIC, soit 5,35€ de l’heure.
À quelques pas de là, dans une salle aux murs lilas, des détenues lingères prennent leur pause.

Quinze minutes par jour, elles sont autorisées à s’y reposer. Quelques tasses kaki sont soigneusement rangées dans l’étagère, une cafetière à filtre est placée sur un petit frigo. Au centre de la pièce, une table et deux chaises d’écolières jaunes.
“Étanchéité homme/femme” à l’atelier
Dans un vaste atelier, derrière des parois grillagées, des dizaines d’hommes opèrent des machines. Parmi eux trône un box opaque. À l’intérieur, un fracas sourd et métallique résonne. Neuf femmes remplissent des petits cartons. « L’architecture est faite pour l’étanchéité homme/femme » assure l’administration carcérale.
Dans cet atelier mis en abîme, elles sont aujourd’hui chargées de constituer et d’empaqueter des vis pour des meubles à monter, contre 5,35€ de l’heure. Les activités changent régulièrement en fonction des carnets de commande. À capacité maximale, l’atelier peut accueillir 12 détenues. Elles y travaillent 71 heures par mois.

Parmi elles, une détenue assure le poste de « contrôleuse » de l’atelier des femmes. La superviseure qui assume plus d’heures que ses collègues est légèrement mieux payée : 116 heures par mois rémunérées à hauteur de 5,75€ de l’heure. « Ce n’est pas beaucoup », constate Ugo Bernalicis. « Mais quand on a rien… », rétorque la contrôleuse.
Bruit, chaleur, douleur, salaires extrêmement faibles… Pour survivre, les femmes sont souvent contraintes de tout supporter. Tandis qu’un tiers des détenus vit avec moins de 20€ par mois, la précarité est encore plus importante au sein des quartiers femme. Alors l’accès au travail demeure un privilège.
Asia Dayan