« Tout le tribunal a envie de te violer »… Enquête sur les violences sexistes parmi les magistrats
Le syndicat de la magistrature a publié en décembre 2024, une enquête menée auprès des magistrates et magistrats français, sur les violences sexuelles et comportements ou propos sexistes au sein de l’institution judiciaire. Malgré l’ampleur des témoignages et les alertes du Syndicat de la magistrature, le ministère n’a pour l’heure, apporté aucune réponse.
« Ma porte est toujours ouverte, sauf si c’est pour m’annoncer que vous êtes enceinte. » Ce propos d’un président à une magistrate, figure parmi les centaines de témoignages recueillis par le Syndicat de la magistrature (SM) lors d’une enquête interne lancée en 2023 et publiée en 2024.
Bien que reposant sur des déclarations individuelles et ne prétendant pas offrir une image exhaustive de la situation, l’enquête révèle deux constats préoccupants : un sexisme ancré dans les pratiques quotidiennes et la récurrence des violences sexistes et sexuelles (VSS) dans un milieu censé garantir la justice.
Un phénomène massif et structurel
Menée sur un an et demi, l’enquête du Syndicat de la magistrature a reçu 525 réponses de magistrates, magistrats, auditrices et auditeurs de justice, sur les 9000 professionnels visés. Parmi eux, 9,14 % se déclarent directement victimes de VSS et 14,8 % témoins de tels faits, avec un total de 63 faits rapportés par des victimes et 96 faits par des témoins.
Les violences rapportées sont des comportements sexistes, des agressions sexuelles (8 cas cités) et un viol (1 cas cité). Les chiffres sont clairs : 91,6 % des auteurs identifiés sont des hommes, et 82,5 % des victimes sont des femmes. La hiérarchie joue un rôle crucial : plus de 70 % des faits ont été perpétrés dans un contexte de domination d’autorité ou de pouvoir.
« La grosse masse des résultats, c’était les propos et comportements sexistes ou homophobes ou transphobes », note Nelly Bernard. « Ce qui nous a marquées, c’est la masse de témoignages et l’intensité des propos qui ont été tenus et dénoncés. » , a-t-elle expliqué.

Les réflexions citées dans le rapport sont édifiantes : « Une femme ça dit toujours un peu non avant de dire oui. Si j’avais dû attendre qu’une femme soit d’accord pour l’emballer… » ; « Alors, elle était bonne la pipe que tu as faite au Président ? » (un magistrat à une collègue plus jeune que lui, qui avait obtenu un poste intéressant au sein de la juridiction) ; « Voilà l’effet que tu me fais. » (un magistrat, chef de service entrant en érection dans le bureau de sa collègue).
Les auditrices de justice, souvent jeunes et en début de carrière, apparaissent particulièrement exposées : elles représentent un quart des victimes de violence sexistes et sexuelles dans l’étude, et sont concernées dans près de la moitié des faits les plus graves, notamment des agressions sexuelles.
Une institution en retard sur la prise en charge
Les faits graves ne sont qu’exceptionnellement portés à la connaissance des instances disciplinaires. Depuis 2000, seuls sept dossiers de VSS ont été examinés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), avec des sanctions souvent limitées à des mutations*
Le syndicat souligne une sous-dénonciation préoccupante : seulement un quart des victimes ont signalé les faits. Selon le rapport, beaucoup estiment qu’alerter ne servirait à rien ou pourrait se retourner contre elles : « J’ai honte, et j’ai peur de ne pas être crue », confie l’une des magistrates. Plusieurs craignent également des représailles, un isolement ou des conséquences sur leur carrière.
Une culture sexiste persistante
Au-delà des relations professionnelles, certains témoignages concernent des propos tenus par des magistrat·es à l’encontre de justiciables, notamment lors d’audiences portant sur des affaires de violences conjugales ou sexuelles. La note cite une phrase entendue à l’audience : « En même temps, les femmes aiment bien ça parfois », à propos d’une victime de violences conjugales.
« Il est essentiel que l’institution soit exemplaire en interne pour pouvoir prétendre juger ces actes-là », affirme Nelly Bernard. Le Syndicat de la magistrature a annoncé la mise en place de plusieurs dispositifs internes à la suite de la publication de son rapport. Parmi eux : la désignation d’une élue d’écoute, la création en cours d’une cellule d’écoute, ainsi qu’une réflexion sur la gestion des signalements impliquant des membres du syndicat. « Nous avons engagé une réflexion sur la manière dont on traite les cas en interne », précise Nelly Bernard.
Concernant les réactions institutionnelles, le ministère de la Justice a indiqué être « en train de travailler sur des propositions ». À ce jour, ni le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ni l’École nationale de la magistrature (ENM) n’ont officiellement répondu au rapport.
Chloé Courtine